Extraits

[En constante rédaction au fil des lectures, relectures et découvertes]

Les extraits méticuleusement sélectionnés et que j’ai choisi de publier ont tous une raison très forte d’exister sur cette page… Conviction partagée… Emotion personnelle traduite à la lettre… Référence bibliographique… Ou scène écrite comme une musique et qui me happe à chacune des relectures…

Ces fragments de texte sont rassemblés ici comme des maximes qui me remontent à bloc, ils font partie de ma trousse d’urgence et je n’hésite pas à les partager en les lisant à voix haute, textuellement, en gardant toujours le même rythme haletant.


  • Raymond Carver a appris à Philippe Djian à traverser la rue. Philippe Djian m’a appris à demander l’heure

« Je me suis réveillé au petit matin avec le dos en compote. Il y avait du vent. J’ai arrêté un type qui passait pour lui demander l’heure. J’avais juste le temps de foncer pour arriver au boulot. Il y a des matins où la vie est sans goût. Parfois il faut vraiment s’accrocher pour croire en quelque chose, il faut faire un effort terrible. » – Zone Erogène

  • Raymond Carver

« Il va falloir penser aux bougies, dit-elle tandis que Luc peinait à finir une nouvelle de Raymond Carver en raison de la sombreur qui s’installait alentour. J’ai beau la connaître par coeur, j’en ai les larmes aux yeux en arrivant à la fin, confia-t-il en se levant. […] Il termina la nouvelle de Raymond Carver en mangeant un esquimau cependant qu’Edith suçait le sien en parcourant les messages sur son téléphone. » – Double Nelson

« La grande majorité des écrivains de ce pays ne valaient rien. Ils étaient le parfait exemple de ce qu’il ne fallait pas faire. De très bons exemples. Ses étudiants riaient. Il espérait au moins, à défaut d’en faire de bons écrivains, en faire de bons lecteurs. Qui savent écouter. Il les mettait en ligne et commençait à lire une page de Raymond Carver, ou d’un autre de ce niveau, en marquant la cadence avec son pied et avec ses doigts, et lorsqu’ils se sentaient prêts, lorsqu’ils avaient compris ce qui se passait, chacun venait ajouter sa voix à la sienne, dans le rythme, puis de nouveaux lecteurs entraient en piste et c’était un torrent qui grondait. » – Incidences

  • Cette pensée fait également partie de ma trousse d’urgence

« L’homme n’est rien. Mais c’est cette conscience du rien qui fait de lui quelque chose. Ce genre de pensées me remontait à bloc, elle faisait partie de ma trousse d’urgence. » – 37°2 Le Matin

  • Regard n. m. : Action de regarder ; expression des yeux de la personne qui regarde. Le regard (de qqn) : Son regard se posa sur moi.

« Les artistes sont pour moi les témoins du monde les plus prégnants, les plus édifiants, c’est eux qui ont compris les choses. C’est eux qui vous disent à un moment que ce qui importe c’est le regard… Si vous voulez être vraiment habité par des idées, par des visions, c’est les artistes qui vous donnent ça. C’est les artistes qui vous permettent de voir le monde différemment. » – Extrait : A voix nue – France Culture

  • Tout droit vers le « small talk »

« C’est un genre que je supporte pas, déclare-t-elle.
— Quoi. De quel genre tu parles ?
— Oh, tu sais bien. Ils ont des tas de gosses dans les jambes, ils bricolent leurs apparts, ils font des projets et ils vont s’habiller chez H & M. Ce genre-là. » – Frictions

  • La cigarette du condamné

« Ne devait-on pas considérer chaque instant de la vie avec une suprême attention, en faire la cigarette du condamné dont on dit tant de bien, dont on dit qu’elle est la reine et que rien ne la surpasse ? Ne devait-on pas s’élever dans le ciel plutôt que de ramper sur nos décombres, ne devait-on pas prendre la mesure de tout ce qui nous entourait ? Je me sentais parcouru de frissons pendant qu’elle caressait doucement mes abdominaux. » – Frictions

  • Excitation extrême !

« Si elle avait été une bouilloire, elle se serait mise à siffler. La pluie tombait dans son dos, crépitait sans relâche et formait comme une brume au-dessus du sol. » – Double Nelson

  • Le supplice de Tantale

« Il avait envie de la toucher, de renifler son odeur, etc., toutes choses auxquelles il devait désormais renoncer, ça ne faisait aucun doute, sinon aucune chance de salut. Le tableau était désespérant. Et le supplice de Tantale n’était rien comparé à la restriction qu’il s’imposait jour après jour avec une désolante abnégation. » – Double Nelson

  • « Aucun point d’exclamation, d’interrogation ou de suspension. Pas de tirets non plus, à la ligne, pour relancer les dialogues. Seuls des espaces les signalent. A l’aube, 23ème roman de Philippe Djian, inaugure un nouveau caprice stylistique auquel le lecteur parachuté au centre de la scène est bien obligé de se plier. Au début, on ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe mais le puzzle se reconstitue peu à peu. » – Le Parisien 8 avril 2018

« Ecoutez, ne le prenez pas mal, m’avait-il déclaré sur un ton cassant, mais ça ne m’étonne pas qu’on vous paye des clopinettes pour vos histoires. Comment voulez-vous gagner votre vie en écrivant des trucs pareils.
J’avais répliqué je fais un gros travail sur la ponctuation, Paul, vous avez remarqué. » – Chéri-Chéri

  Cher Gordon, cher Gordon,
  Il ne manquait plus que ça. Cette infamie. Je suis essoufflé car j’ai couru, mais c’est surtout l’indignation, la colère qui m’étouffe. Ne les écoutez pas, Gordon. Vous êtes un génie. Les plus grands en ont témoigné, les DeLillo, les Ford, les Roth et tutti quanti. Les autres ne sont qu’une poignée d’énergumènes jaloux de votre pouvoir — et par pouvoir j’entends votre capacité à sortir un diamant de sa gangue, un joyau de sa rugueuse enveloppe, quelque chose comme ça, et rien de moins. Magnifique.
  Vous êtes un artiste. Peu importe que vous ne soyez pas le meilleur écrivain du monde, le problème n’est pas là. Vous êtes un orfèvre. Ce type, ce Raymond Carver, sans vous il n’était rien. Il le dit lui-même. Il en est presque émouvant — et se montre même assez lucide, pour un alcoolique.
  C’est votre générosité. Je mets ça sur le compte de votre générosité. De votre amour de la littérature. Vous avez fait ce qu’il y avait à faire, vous avez employé la magie, vous avez tranché, vous avez résisté, vous n’avez pas failli ni cédé aux jérémiades. Bravo. Merci. Ces quelques pleurnichards qui vous traînent aujourd’hui dans la boue, Gordon, c’est insupportable.
  J’ai fait un scandale sur le trottoir. J’ai jeté mon exemplaire de Débutants vers la fenêtre de l’éditeur. Nous vivons une drôle d’époque, vous savez, j’ai dû m’enfuir, j’avais affaire à de véritables brutes. Ils m’ont poursuivi à travers les rues. On croit rêver, n’est-ce pas. Poussant leurs cris d’orfraie. Poussant des cris d’orfraie, Gordon. Ils devraient vous baiser les pieds, mais ce sont des sauvages.
  Quand je pense à tout ce que vous avez apporté, à tout ce que vous avez fait pour nous. À qui doit-on l’équilibre parfait, l’incroyable cadence de chaque nouvelle ? Votre humilité vous honore, Gordon, mais cette phrase, ces mots, ce regard si vif, cette alchimie, à qui les doit-on ? Ne soyez pas modeste. Le vrai Raymond Carver, c’est vous.
  Qu’on ne vienne pas nous emmerder. Que l’on cesse de pleurnicher et que l’on vous rende grâce, plutôt. Vous êtes et resterez l’Ultime. Ils ne pourront rien y changer.
  Quelque chose me dit que ce Raymond Carver avait la larme facile, est-ce que je me trompe ? J’ai vu cette lettre qu’il vous adresse, où il vous supplie de ne procéder à aucune coupe dans ses textes. On a l’impression de le voir agrippé aux revers de votre veston. Qu’il pourrait y perdre la vie. Ce sont ses mots. Destinés à nous arracher des larmes. À l’entendre qu’il ne s’en remettrait pas, bla, bla, bla, mais s’il fallait écouter ces pauvres diables, leur prêter attention, on ne ferait rien. On ne ferait que de la littérature de poule mouillée, Gordon, ce n’est pas moi qui vais vous l’apprendre.
  Et pour commencer, il n’en est pas mort. Vous ne lui avez pas arraché le cœur, visiblement. Vous ne l’avez pas crucifié. Écoutez, je crois que je vais m’asseoir un instant car j’en frémis d’indignation. Gordon, j’en profite pour vous dire à quel point vous m’avez ébloui, à quel point j’ai adoré ce Raymond Carver-là, celui qui est passé entre vos mains, celui qui a subi ce divin toilettage dont on parle aujourd’hui. Non, mais vous m’avez fait pleurer, vous savez. Je vous ai lu parfois à travers des larmes d’admiration. Je vous ai serré contre ma poitrine. Je me serais damné pour vous. J’avais votre portrait dans ma chambre. Enfin, j’avais le portrait de ce Raymond Carver — et cet homme me regardait du matin au soir, il ne me quittait pas des yeux.
  Je ne savais pas ce qu’il vous devait, alors. Mais je sais ce qui m’a trompé. C’est le visage de cet homme. C’est son regard. Ce type paraît tellement honnête. Et il ressemble tellement au type même du gars capable d’écrire les plus belles nouvelles du monde qu’on en est abasourdi.
  Merci pour le verre d’eau, Gordon. J’étais en train de vous expliquer comme c’était drôle, comme parfois son image s’imposait. Une injustice absolue, vis-à-vis de vous. Vous êtes resté dans l’ombre, on connaît à peine votre nom, et encore moins votre visage. Tout cela me désole, sincèrement.
  L’un de ces imbéciles s’est-il au moins penché sur la question de la souffrance ? S’est-il demandé si c’est de gaieté de cœur qu’on sucre les trois quarts d’un texte, qu’on en jette la moitié aux ordures contre la volonté de l’auteur ? Si l’on jouit de mutilations infligées à un autre ? Si l’on prend plaisir à ses supplications, à ses cris ?… Il faut une sacrée abnégation. Une sacrée force de caractère. Il faut une opiniâtreté de moine. J’en ai parfaitement conscience. J’ai la plus grande estime, le plus grand respect pour vous. Je me fiche que vous n’y soyez pas allé de main morte, qu’on vous ait traité d’assassin, de brute sans pitié, de triste psychopathe, de boucher, je me fiche de tout ce que l’on vous reproche. Vous avez été courageux. Il vous a fallu du courage, de la détermination. Je ne sais même pas ce qui vous a poussé à faire ça. Ne me demandez pas ce que John Gardner en aurait pensé, je n’en sais rien, mais la littérature ne sort-elle pas gagnante de cette histoire ? N’est-ce pas ce qui importe, au fond ?
  La question ne se pose pas, bien entendu. Mais c’est vous plus que lui. C’est votre patte. Même si je ne la retrouve pas dans vos propres récits, je reconnais votre patte, votre oreille absolue, votre lame. Vous n’avez jamais été meilleur, Gordon. Ceux qui jurent d’aller cracher sur votre tombe sont pires que des communistes.

Philippe Djian

  • Qu’est ce que la normalité ?

> à partir de 3’33 » > […] Je pense que la normalité c’est une espèce de prison mentale, si vous voulez vous mettre dans la normalité, vous vous enfermez dans quelque chose […]. Plus ça va plus on a l’impression d’avoir des vies plutôt normales, évidemment qu’il y a moins de famines, moins de maladies mais on est de plus en plus enchaînés par des choses qui ont pas vraiment d’intérêt, gagner de l’argent, etc., par exemple en ce moment je reçois plein de trucs d’assurances parce qu’à chaque fois que je vais dans une banque on me dit prenez une p’tite assurance ça s’ra pas mal et moi je dis oui oui allez-y j’ai pas envie d’en parler faites-moi une assurance et puis je me retrouve avec plein d’assurances et j’suis comme une espèce d’animal qu’on a saucissonné. Je sens que cette espèce de normalité, d’image de quelqu’un qui paye ses impôts, qui promène ses enfants et son chien, qui fait tout comme il faut, c’est une abomination, ça veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi […] mais ça veut dire qu’à un moment il faut retrouver cette idée de « qu’est ce que c’est de penser librement », c’est pas simple. Penser librement c’est faire le pas de côté, au lieu de vous regarder comme ça, de regarder une histoire comme ça, je fais un pas de côté et je vais regarder les choses différemment. Le style c’est l’angle aussi, c’est où on se met pour regarder les choses, les cinéastes par exemple, on a eu Hawks, on a eu Ford qui vous prenaient comme ça (Philippe Djian mime le gros plan, NDLR), nous aussi les écrivains quelque part, « il faut avoir cette réflexion », est-ce que je vais vous prendre en plan large, en plan fixe. La morale quand on écrit, Godard le disait bien, le travelling c’est une histoire de morale […]. Et pourtant je suis tellement loin de ça, je viens pas du monde de l’image, je viens du monde du signe, je me sers de signes. […] < jusqu’à 7’55 » <

Extrait – La Grande Librairie – «Marlène», nouveau roman de Philippe Djian

  • Tant que vous avancez, la vie ne peut pas avoir de prise sur vous

« Donc, je roulais en silence et sur cette longue bande droite et sinistre, je fonçais au milieu des hallus, y’avait rien d’autre à faire qu’à se laisser aspirer et garder les yeux ouverts, rester en vie.
  Sandra m’avait plus ou moins viré de chez moi, une sérieuse engueulade, et j’avais claqué la porte avant de prendre un mauvais coup. Dans ces cas-là, je sautais toujours dans la bagnole et je filais pendant des heures droit devant, pas spécialement vite parce que la vitesse c’est encore un autre truc, non, je roulais tranquillement, la tête vide et particulièrement insensible à tout. J’avais trouvé ça. C’était un bon moyen pour ne plus exister, enfin d’une autre manière. Tant que vous avancez, la vie ne peut pas avoir de prise sur vous. L’esprit étant suffisamment occupé par la conduite de l’engin, ça vous donne le droit de baisser les armes pour un temps et soyez tranquille, rien ne peut vous arriver, à moins qu’un connard vienne exploser dans votre pare-brise, mais on en est tous là. » – La dernière folie de Pépé Gros-Sous (Histoires brèves 1 – Éditions BFB/Paris-Match, 1981)

  • Point-virgule

« « Dites-moi, Annie, fit-il en tirant quelques feuillets de sa serviette, on ne vous a jamais dit que le point-virgule était mort ? » » – Incidences

« L’homme n’avait pas l’allure d’un vulgaire maffieux, ni celle d’un braqueur de banque aguerri aux empoignades dans les clubs, mais bien celle d’un escroc financier d’aujourd’hui, sensible à la coupe de ses chemises, attentif au choix de son parfum — en l’occurence Five O’Clock au Gingembre de Serge Lutens. » – Incidences

« […] Et il est super propre, il se parfume à l’Ambre Sultan de Serge Lutens et il s’endort sur moi comme un bébé. À peine décoiffé. » – À l’aube

  • Sans compter

« Je peux comprendre que des types fassent des trous dans les murs pour voir une femme se déshabiller. C’est comme de contempler la baie de Naples, le billet d’avion en moins. » – Sans compter

« Pourquoi compliquer les choses, pourquoi vouloir sortir des rails, s’écarter des sentiers battus quand tout marche bien. Car imaginons un instant que je la serre dans mes bras et l’embrasse à pleine bouche, qui pourrait sortir gagnant d’une telle bévue. Combien sont-ils, tous ces damnés dont une funeste erreur a bousillé la vie jusqu’à la fin. Des régiments entiers. » – Sans compter

« Je prends Coton et le mets dans mon blouson, la tête sortie. Avec les femmes, c’est plus compliqué. » – Sans compter

« Il n’y a rien à faire dans l’immédiat, en dehors de boire patiemment mon gin avec son tonic à la fleur de sureau en observant les différentes luisances du lac au gré des nuages qui glissent à la surface. » – Sans compter

« […] Et puis ce poème de Cendrars me revient sans cesse en tête, « Quand tu aimes, il faut partir… » bla, bla, bla. Il y a de quoi se les prendre et se les mordre, non. » – À l’aube

  • Le gin-fizz est un cocktail à base de gin, de jus de citron, de sirop de sucre de canne et d’eau gazéifiée

« Ils mirent une dizaine de minutes pour atteindre le bar. Elle demanda un gin-fizz pendant que Steeve retrouvait une bande copains. » – À l’aube