« Je lis les premiers livres de Philippe Djian dans les toilettes de mon lycée, pour me donner du courage avant d’affronter mon prof de gym. Expérience fondatrice et concrète du pouvoir de la littérature au cœur de l’adolescence. Jamais un auteur ne m’avait autant donné envie de sortir, d’explorer le dehors, plutôt que de rester confiné dans ma chambre. Djian, l’écrivain qui m’a appris à ne plus craindre les Frictions (titre de l’un de ses romans vingt ans plus tard).
Souvenir de l’émission Rapido qu’Antoine de Caunes lui avait consacré. L’auteur est filmé à Biarritz. C’est la première fois que je vois les images documentaires d’un écrivain sur son lieu de vie. L’émission est aussi le cadre de la première rencontre entre Djian et Stephan Eicher, avec les conséquences artistiques que l’on sait. Du haut de mes 15-16 ans, je perçois tout cela avec une rare intensité tandis que ma scolarité tourne mal.
Aucune couverture de livre ne m’a procuré autant d’émotions que celles de ses premiers livres chez Bernard Barrault (Maudit manège, Lent dehors…). Très vite, ses premiers poches. Je n’ai pas oublié la mini-bio qui en ornait le dos : « Ses livres racontent sa vie ». Bien sûr, j’ignorais à l’époque qu’il s’agissait là d’un pur exemple de « prose d’éditeur » comme s’amuserait à le dire Michel Polac lors de l’une de ses émissions, dans les mêmes années.
L’anecdote selon laquelle Djian a écrit son premier recueil de nouvelles Cinquante contre un dans la cabine de péage où il travaillait de nuit, me ravit et valide tous mes phantasmes autour de « l’écrivain-autodidacte-qui-accumule-les-jobs-tout-en-ne-lâchant-jamais-la-grande-affaire-de-l’écriture ». Par la suite, j’apprends que Djian a renié cette première publication.
Au moment où je claque la porte du lycée, sort le recueil Crocodiles. Grâce à sa première nouvelle, où il est question du décès de Brautigan, je découvre l’auteur des Mémoires sauvées du vent. Combien d’auteurs (de musiciens et de cinéastes) Djian me fera-t-il découvrir, entre ceux qu’il mentionne dans ses romans et ceux qu’il cite dans ses interviews ?
Ses interviews justement… Et ses textes. Je les guette jusque dans les revues les moins intéressantes (ah, cette nouvelle consacrée au moyen de combattre une invasion de fourmis et publiée dans Globe… Je l’ai relue jusqu’à la connaître presque par cœur).
Contrairement à certains de ses fans de la première heure, je ne hurle pas à la trahison quand Djian quitte Barrault pour Gallimard. La mauvaise nouvelle aurait été pour moi qu’il cesse d’écrire.
Des critiques de livres, j’en écris une centaine pour diverses revues, entre l’âge de 30 et 40 ans. Mais la toute première que l’on me commande, alors que j’ignore si je suis capable d’en rédiger une, concerne un livre sur Philippe Djian. Sans cette coïncidence, je n’aurais sans doute jamais commencé d’écrire des articles. Ce livre (une thèse) consacré à Djian sort à La Passe du Vent, l’un de mes éditeurs. Ce qui me permet d’obtenir l’adresse parisienne de l’écrivain. Je boirai un verre un jour, à la terrasse d’un café, juste à côté de chez lui. Et me garderai bien de le déranger.
J’adore la peinture. La femme de Djian est peintre (certaines de ses œuvres ont marqué les couvertures des premiers romans, en sont indissociables à mon esprit). Mais je suis stupéfait de découvrir que Djian a consacré un petit livre à Bram Van Velde, peintre auquel mon voisin lyonnais – Charles Juliet – s’est également intéressé. Aucun critique ne relève ce point commun entre ces deux auteurs si dissemblables. Le jour où une grande exposition est consacrée aux frères Van Velde au Musée des Beaux-Arts de Lyon, je trouve dans la librairie de l’endroit l’ouvrage de Juliet, mais nulle trace de l’opuscule de Djian.
Ardoises est le seul livre de Djian que j’offre à des amis qui détestent l’auteur.
Les albums de Stephan Eicher auxquels Djian a collaboré… reçus comme autant de cadeaux. Je ne garde aucun souvenir de la chanson qu’il a écrite pour Johnny. Me souviens juste de sa précision lors d’une interview : il valait mieux écrire une chanson pour Johnny que d’animer des ateliers d’écriture pendant un an (forcément, cela m’a parlé).
En tant qu’animateur d’atelier d’écriture (à Lyon), j’ai eu à accompagner des personnes qui étaient passées par ses ateliers « Gallimard ». J’avoue les avoir bombardés de questions à ce sujet.
Je pourrais poursuivre cette liste encore très longtemps. A ce jour (le 9 mars 2023), Sans compter est le seul ouvrage de Djian que je n’ai pas lu. Pas encore lu. »
Frédérick Houdaer
Frédérick Houdaer, né à Paris en 1969, vit en haut d’une colline lyonnaise (Croix-Rousse) depuis une trentaine d’années, déménagera au bord de la mer.
- Auteur
Une vingtaine d’ouvrages publiée (dont plusieurs romans, neuf recueils de poèmes et un essai consacré au poète Tristan Corbière).
- Éditeur
Après avoir dirigé une collection de romans francophones aux Editions A plus d’un titre puis une collection de poésie aux Editions Le Pédalo Ivre (une trentaine de titres parus), a co-fondé les Editions Le Clos Jouve en 2018.
- Créateur et animateur du Cabaret Poétique au Périscope (salle de jazz lyonnaise) depuis 2010.
Son blog : http://houdaer.hautetfort.com/
Sur Facebook : https://www.facebook.com/FrederickHoudaer
BIBLIOGRAPHIE (sélection)
- Roman
L’IDIOT N°2, aux Editions du Serpent à Plumes (2000)
LA GRANDE EROSION, aux Editions La Passe du vent (2001)
ARMAGUEDON STRIP, aux Editions Le Dilettante (2019)
CHEZ ELLE, aux Editions Sous le Sceau du Tabellion (2023)
- Poésie
ANGIOMES, aux Editions La Passe du Vent (2005) <recueil réédité dans le volume ANGES PROFANES>
ENGELURES, aux Editions Oniva (2011) <réédité dans le volume ANGES PROFANES>
ENGEANCES, aux Editions La Passe du Vent (2012) <réédité dans le volume ANGES PROFANES>
FIRE NOTICE, aux Editions Le Pont du Change (2013)
NO PARKING NO BUSINESS, aux Editions Gros Textes (2014)
PARDON MY FRENCH, aux Editions Les Carnets du Dessert de Lune (2016)
NUIT GRAVE, aux Editions La Boucherie Littéraire (2017)
ANGES PROFANES, aux Editions La Passe du Vent (2020)
PILE POIL, aux Editions Gros Textes (2022)
- Nouvelles
DURES COMME LE BOIS, aux Editions Sous le Sceau du Tabellion (2022), recueil écrit à 4 mains avec Judith Wiart
- Essai
POURQUOI JE LIS LES AMOURS JAUNES DE TRISTAN CORBIÈRE, aux Editions Le Feu Sacré (2015)
- Vidéo
ARMAGUEDON STRIP (Écrire sous influence) > Les Artisans De La Fiction